« Je ne pensais pas que je pouvais être créative. »1

Notre travail consiste le plus souvent à co-concevoir ou à réorganiser des services publics.

La qualité d’un service, contrairement à celle d’un produit, s’obtient en grande partie au moment où il est presté. Pensez à une superbe chambre d’hôtel conçue par un architecte talentueux : si le service n’a pas été bien fait, ou qu’elle ne vous semble pas propre, elle ne vous laissera pas un grand souvenir. Un transport en commun qui n’est pas à l’heure, ça vous complique la vie. Un site internet ou un formulaire en ligne dont le serveur est surchargé, c’est parfois énervant.

C’est pourquoi, quand nous animons la co-création, c’est au moins aussi souvent avec des agents prestataires qu’avec des usagers. Non pas que les usagers ne nous intéressent pas, bien sûr, mais parce qu’en travaillant avec ceux qui vont prester le service, ils seront motivés, ils auront la possibilité de proposer des solutions efficaces, qu’ils pourront tenir, voire améliorer dans le temps. Et cerise sur le gâteau, ils en savent souvent beaucoup sur les usagers de leur service.

Pourtant, le démarrage n’est pas toujours simple. Nous devons imaginer et mettre en œuvre des changements, ce qui entraîne des réticences chez chacun de nous. De plus, très souvent les participants se demandent ce qu’ils font là : les gens de terrain sont étonnés qu’on les écoute. Certains sont prêts à critiquer, mais ne se sentent pas compétents pour proposer des solutions nouvelles. Ou encore, ils ne croient pas que ce qu’ils vont concevoir va réellement être mis en œuvre.

C’est pourquoi nous utilisons de plus en plus l’exploration appréciative : nous partons des réussites passées et des compétences de chacun des participants et de leur de l’équipe, pour construire le nouveau service sur un socle positif. Une fois que chacun se sent compétent pour apporter sa pierre à l’édifice, et se rend compte qu’il a déjà été capable de participer à des actions productives et réussies, on peut commencer à chercher ensemble des solutions. Nous apportons des outils d’intelligence collective, et petit à petit la créativité de chacun se libère.

Un jour, une personne a dit en fin de projet : « c’est fou, je ne pensais pas que je pouvais être créative. ». Chacun l’est, sous des formes différentes, mais il faut des conditions d’écoute et de respect pour que tous y croient et « osent » s’exprimer, même pour émettre des idées qui peuvent sembler farfelues.

1Phrase entendue telle quelle à la fin d’une série d’ateliers.

Les 20 ans du double diamant : un schéma très simple mais très riche.

Cette année, il y a 20 ans que le Design Council a publié pour la première fois le schéma du double diamant. Cet anniversaire est célébré un peu partout dans le monde, de différentes façons. Mais pourquoi est-il si important ? Parce que ce schéma du double diamant marque une étape majeure dans la compréhension, si pas dans la manière de mener un projet de design.

Il se compose de deux cycles successifs de divergence – convergence (élargir la recherche, puis faire des choix et recadrer). Mais l’élément remarquable, c’est d’avoir visualisé qu’avant de chercher une solution, le designer doit réinterroger le cahier des charges en s’immergeant auprès des usagers, pour vérifier qu’on se pose bien les bonnes questions.

Chercher à vérifier si on se pose la bonne question avant de lui chercher une bonne réponse, est une démarche qui semble parfois un peu longue à certains. Mais au final, si elle ne fait pas toujours gagner du temps, elle améliore systématiquement l’adéquation de la proposition.

Ne nous voilons pas la face : cette démarche demande beaucoup de courage… de la part du commanditaire. Nous lui demandons d’accepter que sa demande n’est peut-être pas tout à fait la bonne, et en plus nous prenons du temps pour le lui montrer. Mais pour celui qui l’accepte, le résultat est souvent à la hauteur de l’investissement. Le produit, le service, la stratégie, la politique qui est développée répondent réellement aux attentes de ceux à qui elle est destinée.

Aujourd’hui, les questions que nous nous posons sont de plus en plus complexes, parce que nous vivons dans des systèmes complexes, et souvent mal connectés entre eux. Les designers n’ont évidemment pas attendu 20 ans pour faire évoluer leur pratique en y intégrant les aspects systémiques, et le Design Council a d’ailleurs voulu actualiser le double diamant dans ce sens en vue d’activer des projets « Net zero ». Le nouveau schéma est intéressant ,https://www.designcouncil.org.uk/our-resources/systemic-design-framework/ mais à mes yeux il n’enlève rien à la pertinence du double diamant de départ, dont la simplicité fait la force quand il s’agit d’expliquer la méthode à un non-designer.