Il nous manque une vision d’ensemble et co-construite de l’avenir que nous souhaitons

Les manifestations d’agriculteurs de ces dernières semaines ont à nouveau mis en lumière le fossé qui s’est creusé entre l’organisation de notre société et les attentes de chacun. Plus personne ne comprend où on va, ce qui est source d’incertitude et d’inquiétude. Et comme (presque) toujours dans ces cas-là, chacun tire la couverture à soi.

Je ne suis pas spécialiste des questions agricoles, et je n’ai évidemment pas la prétention de détenir la solution. Mais parmi tout ce qui a été dit, on peut remarquer que 3 catégories de contraintes se cumulent pour provoquer la colère des agriculteurs : l’Europe, les distributeurs, et l’écologie.

Or ce sont les 3 faces d’une même question : Qu’attendons-nous des agriculteurs ?

– Nous nourrir avec des aliments de qualité, produits à proximité et dans des conditions qui respectent notre santé et notre environnement ?

– Produire au moindre prix de quoi nous remplir l’estomac pour qu’il nous reste de quoi nous payer le superflu ?

– Ou produire un maximum pour exporter et rentrer des devises ?

Dans la politique européenne – qu’elle soit agricole ou environnementale – ce choix n’a pas été rediscuté depuis des dizaines d’années. On prolonge la PAC sans la remettre en question, probablement parce qu’elle en arrange quelques uns.

Bref il n’y a plus de vision d’ensemble et co-construite de l’avenir que nous souhaitons, plus d’imaginaire collectif, et donc plus de guides qui permettent de prendre des décisions équilibrées.

Dans plusieurs projets de services que nous avons eu à mener ces dernières années, la demande part d’un constat similaire : il manque une vision d’ensemble qui permettrait à chacun d’appréhender la globalité du service dont il fait partie, et de situer son travail dans l’objectif commun à atteindre. D’où tensions, routines obsolètes, rapports de forces biaisés, et dégradation sensible de la qualité du service.

Pour reconstruire cette vision commune du service, nous devons travailler par étapes.

D’abord s’inscrire dans la stratégie globale de l’organisation :

– Quelle est sa mission ?

– Et pour la remplir, qu’attend-elle de notre service ?

Ensuite, il faut retrouver une légitimité :

– Quelles sont nos compétences ?

– Sont-elles suffisantes ou doivent-elles être enrichies,

– Ou bien peut-on trouver mieux ailleurs ?

C’est important, parce que savoir qu’on est à sa place peut éviter beaucoup d’inquiétude au quotidien. Nous travaillons ces questions de légitimité par des évaluations entre pairs, dans un esprit bienveillant, et sans chercher les problèmes à résoudre, mais au contraire en nous focalisant sur les projets à construire.

Et c’est seulement quand ces 2 étapes sont derrière nous que l’équipe peut concevoir sereinement un projet et un plan d’action.

Une fois le projet élaboré, et les processus fixés, il ne faut pas oublier de mettre en place des feed-back qui permettent à chacun de s’auto-gérer : auto-évaluer son travail, et le cas échéant l’améliorer.

Ce sont les conditions pour se sentir impliqué et responsable de son travail. Mais est-ce que ce ne sont pas finalement des conditions pour vivre en société qu’un excès d’individualisme nous auraient fait oublier.

« Je ne pensais pas que je pouvais être créative. »

Notre travail consiste le plus souvent à co-concevoir ou à réorganiser des services publics.

La qualité d’un service, contrairement à celle d’un produit, s’obtient en grande partie au moment où il est presté. Pensez à une superbe chambre d’hôtel conçue par un architecte talentueux : si le service n’a pas été bien fait, ou qu’elle ne vous semble pas propre, elle ne vous laissera pas un grand souvenir. Un transport en commun qui n’est pas à l’heure, ça vous complique la vie. Un site internet ou un formulaire en ligne dont le serveur est surchargé, c’est parfois énervant.

C’est pourquoi, quand nous animons la co-création, c’est au moins aussi souvent avec des agents prestataires qu’avec des usagers. Non pas que les usagers ne nous intéressent pas, bien sûr, mais parce qu’en travaillant avec ceux qui vont prester le service, ils seront motivés, ils auront la possibilité de proposer des solutions efficaces, qu’ils pourront tenir, voire améliorer dans le temps. Et cerise sur le gâteau, ils en savent souvent beaucoup sur les usagers de leur service.

Pourtant, le démarrage n’est pas toujours simple. Nous devons imaginer et mettre en œuvre des changements, ce qui entraîne des réticences chez chacun de nous. De plus, très souvent les participants se demandent ce qu’ils font là : les gens de terrain sont étonnés qu’on les écoute. Certains sont prêts à critiquer, mais ne se sentent pas compétents pour proposer des solutions nouvelles. Ou encore, ils ne croient pas que ce qu’ils vont concevoir va réellement être mis en œuvre.

Un jour, une personne a dit en fin de projet : « c’est fou, je ne pensais pas que je pouvais être créative. »*. Chacun l’est, sous des formes différentes, mais il faut des conditions d’écoute et de respect pour que tous y croient et « osent » s’exprimer, même pour émettre des idées qui peuvent sembler farfelues.

C’est pourquoi nous utilisons de plus en plus l’exploration appréciative : nous partons des réussites passées et des compétences de chacun des participants et de leur de l’équipe, pour construire le nouveau service sur un socle positif. Une fois que chacun se sent compétent pour apporter sa pierre à l’édifice, et se rend compte qu’il a déjà été capable de participer à des actions productives et réussies, on peut commencer à chercher ensemble des solutions. Nous apportons des outils d’intelligence collective, et petit à petit la créativité de chacun se libère.

( * Phrase entendue telle quelle à la fin d’une série d’ateliers.)